Combien d’emplois va détruire le déremboursement de l’homéopathie ?

Comme je le disais plus tôt aujourd’hui, le déremboursement de l’homéopathie va sans doute détruire des emplois chez Boiron :

N’oublions pas les salariés de Boiron

Mais combien ?

Répondre à cette question est difficile, pour plusieurs raisons :

  • C’est anticiper le futur, et personne n’a de boule de cristal
  • Je ne connais pas finement les données comptables de Boiron
  • Boiron peut modifier sa stratégie (« pivoter »)

Pour simplifier, on va donc supposer que Boiron ne change pas de stratégie – ce qui n’est pas totalement déraisonnable : trouver en deux ans une stratégie alternative et tout aussi rentable est loin d’être évident. Et on va tâcher de donner des ordres de grandeur plutôt que des précisions à la virgule près.

Toutes les données sont issues de cet article des Échos.

Pour commencer, le chiffre d’affaire annuel de Boiron – c’est à dire ses ventes :

(Ne soyez pas trompés par l’échelle du graphique, qui sur-représente les évolutions du chiffre d’affaire. À la louche, ce dernier est stable, autour de 610 millions d’euros par an.)

En 2018, son résultat opérationnel (in genre de profit) était d’environ 100 millions d’euros. L’entreprise est rentable, même très rentable.

Cela étant, si son chiffre d’affaire baisse suite au déremboursement, Boiron sera bien obligé de licencier. La question est donc de savoir si son CA va effectivement baisser.

Boiron anticipe « une baisse de son chiffre d’affaires français sur les médicaments remboursés de moitié l’année prochaine, et encore la moitié la suivante ». Calculons ce CA.

L’article des Échos nous apprend que le CA des médicaments remboursés représente 70% du CA réalisé en France, qui est de 359 millions d’euros – soit 0,7 \times 359 = 251.

Boiron anticipe que ce CA de 251 millions d’euros baissera de 50% l’an prochain, soit une réduction de 125 millions d’euros. Cela correspond à une baisse de son CA total de 20%. C’est considérable.

Pire encore, Boiron anticipe une seconde baisse l’année suivante : son CA sur les médicaments remboursés passera de 125 millions d’euros à 63. En deux ans, son CA aura donc diminué de quasiment 200 millions d’euros. Pour un CA de 610 millions, c’est considérable.

Alors vous êtes sans doute sceptique, et vous allez me dire que Boiron a tout intérêt à présenter des estimations pessimistes. Sauf que dans le cas présent, ça n’est pas le cas : Boiron est coté en bourse. Si une menace pèse sur son activité, il est donc légalement contraint de la rendre publique. Sans cela, les dirigeants de Boiron s’exposent à des poursuites – ainsi qu’à une réaction très violente des marchés financiers.

En d’autres termes, les données avancées par Boiron sont crédibles. Ce dernier va effectivement au devant d’un massacre.

Boiron emploie 2600 personnes. La direction estime que la fin du remboursement va détruire 1300 emplois, soit une réduction de 50% de ses salariés (source).

Là aussi, cette information est crédible : certes, on peut supposer qu’elle a été un peu exagérée (dans les limites permises par la réglementation), mais même si le nombre réel n’est « que » de 1000 personnes par exemple, ou même 500 (Boiron avait déjà lancé un plan de réduction de l’emploi en 2016), cela reste considérable.

Et pour ses salariés qui vont bientôt devoir subir les coûts psychologiques, économiques et sociaux du chômage, ça le sera sans doute aussi.

MàJ : ajout de la mention du plan de réduction d’emplois de 2016.

N’oublions pas les salariés de Boiron

C’est acté : l’homéopathie sera progressivement déremboursée. On ne peut que se réjouir de cette décision.

Dans une précédente publication, j’alertais toutefois sur la question de l’emploi chez Boiron :

Pourquoi l’homéopathie ne sera-t-elle déremboursée que dans deux ans ?

La fin du remboursement va sans doute lourdement impacter l’activité de Boiron, d’après moi pour (au moins) deux raisons :

  • Le symbole du déremboursement est très fort, aussi bien du côté des patients que du côté des médecins susceptibles de prescrire l’homéopathie
  • Les patients seront-ils prêts à accepter une prescription non-remboursée ? Dans le doute, il me semble probable que les médecins évitent à l’avenir de proposer ce type de prescriptions.

Lorsque l’homéopathie avait vu son seuil de remboursement abaissé dans le passé, l’activité de Boiron n’avait pas été tellement impactée. Il me semble toutefois qu’ici, la situation pourrait être toute autre.

La conséquence ? Boiron va sans doute devoir licencier. Des gens vont se retrouver au chômage. En d’autres termes, avec le déremboursement de l’homéopathie, on a préféré le bien-être des patients à celui des salariés de Boiron.

Pourquoi ? Parce que le chômage a des conséquences terribles sur la santé et le bien-être de celles et ceux qui en sont victimes : risques de suicidée augmentés, dépression, anxiété, isolement social… Ces conséquences sont très largement documentées.

Alors j’entends les critiques contre certains politiciens, comme celle-ci :

Ou encore celle-ci :

Ou celle-là :

https://twitter.com/ecosceptique/status/1148926333910683653?s=21

Mais lorsqu’ils mettent en avant le risque sur l’emploi (comme Xavier Bertrand), faire mine de ne pas les entendre à ce sujet me pose un vrai problème. Car des gens vont souffrir de cette décision, et il me semble que la moindre des choses serait de ne pas l’oublier.

Les gens qui travaillent chez Boiron ont-ils choisi d’y travailler ? Pour une part significative d’entre eux, sans doute pas : ils ont pris l’emploi qui se présentait à eux. Et même si c’était le cas, avons-nous le droit moral de les punir avec quelque chose d’aussi violent que le chômage parce qu’ils travaillent pour une entreprise dont le « médicament » ne fonctionne pas ? Ça me paraît un peu extrême comme position…

Encore une fois, je suis satisfait du déremboursement de l’homéopathie, qui va améliorer la santé de nombreux patients. Et je pense que de nombreux politiques défendent bien faiblement leur position contre cette décision. Mais je ne pense pas que ça soit une raison suffisante pour jeter les salariés de Boiron sous le bus. D’autant que cette décision va permettre de faire des économies : pourquoi ne pas les réutiliser pour reclasser ces salariés bientôt au chômage ?

Après tout, Boiron a pu se développer et les embaucher uniquement parce que la Sécurité Sociale remboursait l’homéopathie. En un sens, c’est donc un peu de sa faute aussi si ces gens ont été embauchés. Est-ce si délirant de mettre quelques moyens pour leur offrir une porte de sortie qui ne passe pas par la case chômage ?

Quoi que l’on réponde à cette question, j’espère a minima vous avoir fait prendre conscience qu’elle n’était pas aussi neutre ou simple qu’il n’y paraît.

Pourquoi l’homéopathie ne sera-t-elle déremboursée que dans deux ans ?

Selon toute vraisemblance, le gouvernement va annoncer demain une fin progressive au remboursement de l’homéopathie, sur deux ans.

Je vois de nombreux sceptiques ou rationalistes dire qu’ils ne « comprennent pas » cette décision : pourquoi attendre deux ans ? Ils pointent, à juste titre, tout ce que l’on pourrait faire avec cet argent économisé.

Pour un économiste, ou un chercheur en sciences humaines et sociales plus généralement, il est difficile d’être vraiment « surpris » par cette annonce.

Même si elle est inefficace, l’homéopathie reste très populaire auprès des français. Comme les APL – dont on a toutes les raisons de penser qu’elles font augmenter les prix des loyers, et profitent donc en fait aux… propriétaires. Comme les routes à 90 km/h – qui tuent davantage que les routes à 80 km/h.

Je ne prends ces exemples au hasard car à chaque fois, ils ont été l’objet de deux polémiques qui ont endommagé la popularité du gouvernement.

Un gouvernement, un élu, a un objectif : être réélu à la prochaine élection. TOUT, et c’est pas une erreur que de l’écrire en majuscule, doit être analysé à l’aune de ce qu’ils ont à gagner ou à perdre pour augmenter leurs chances d’être réélus.

Pour un gouvernement impopulaire, dont l’image est d’être fermé aux français et de gouverner pour les élites, le risque autour de l’homéopathie est évident.

S’ajoute à cela le jeu des élections municipales de 2021 : il faut peu de doutes que Colomb, maire de Lyon et proche de Macron, ait pesé de tout son poids pour éviter cette décision. Pourquoi ? Parce que Boiron a son siège à Lyon. C’est de l’emploi, c’est de l’influence, dans tous les cas, c’est un risque pour sa réélection.

Alors bien sûr, je n’ai pas de preuve définitive de ce que j’avance. Mais le rasoir d’Ockham nous porte à croire que l’explication la plus parcimonieuse doit être préférée.

Et quand il s’agit de politiques dont la carrière est (littéralement) toute entière bâtie sur une série de réélections, l’hypothèse la plus parcimonieuse est qu’ils prennent leurs décisions pour améliorer (ou ne pas trop réduire) leur probabilité d’être réélu au prochain cycle.

C’est sans doute pour des raisons électorales que cette décision a été prise.

(Et sur le fond, est-ce vraiment si dramatique que de décaler cette fin de deux années ? Aussi inefficace que soit l’homéopathie, le déremboursement va sans doute contraindre Boiron à licencier. Or, on sait que le chômage augmente le taux de suicide, le taux de dépression, a des conséquences psychologiques lourdes et durables. Pour combien de patients sauvés faudra-t-il mettre des gens au chômage ? Ça n’est pas parce qu’ils travaillent pour Boiron que ces gens sont forcément en faute. Tout ça pour dire que donner deux ans à Boiron, c’est peut-être aussi un moyen de préparer la réinsertion de ces salariés qui vont perdre leur emploi à cause de cette décision.)

MàJ : j’ai oublié de préciser que même si décalée de deux ans, cette décision reste une victoire pour les tenants de la méthode scientifique. Acceptons aussi que gagner à 95%, ça n’est certes pas 100%, mais c’est mieux que 0% – surtout quand des politiques sont impliqués…

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L’homéopathie déremboursée

La Haute Autorité de Santé (HAS) a rendu son verdict : après consultation de la littérature scientifique sur l’efficacité de l’homéopathie, elle n’a pas pu trouver de raisons justifiant le maintien de son remboursement. Elle a même argumenté que maintenir son remboursement pouvait avoir des effets négatifs sur la santé des patients, en les retardant avant d’être pris en charge par des traitements efficaces.

Vous pouvez consulter son avis détaillé ici. Et lire cet excellent article .

En l’état, la HAS n’a émis qu’un avis, mais que la ministre de la santé s’était engagé à suivre. Sauf revirement de dernière minute (par exemple du fait de pressions d’élus de zones où Boiron est implanté), l’homéopathie ne devrait donc plus être remboursée par la Sécurité sociale.

Pour celles et ceux qui s’intéressent à la méthode scientifique et au rationalisme, il n’y a rien de surprenant dans cette annonce : la procédure française veut que ne soient remboursés que les médicaments dont l’efficacité dépasse l’effet placebo. Or, l’homéopathie n’a jamais fait la preuve d’un tel effet. La conclusion de la HAS est donc logique et attendue.

Difficile de dire si les homéopathes vont contre-attaquer, ou si c’est la fin de l’histoire. En attendant, je vous propose de regarder cette super vidéo de Mr. Sam, qui recourt à la technique de l’homme d’acier sur les arguments en faveur de l’homéopathie : si on les présente sous la forme la plus « généreuse » possible, ces arguments sont-ils convaincants ? Ou les homéopathes ont-ils été incapables de défendre leurs théories ?

Bonjour, c'est Olivier – alias L'Économiste Sceptique 🙂

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