L’argent fait-il le bonheur ?

Cette question, les économistes se la posent depuis plusieurs décennies. Existe-t-il un lien de causalité entre revenu et satisfaction ?

Dans les années 1970, Richard Easterlin a mis en évidence un paradoxe qui porte désormais son nom : pour dire simplement les choses, la satisfaction est corrélée avec le revenu, mais jusqu’à un certain point seulement. Une fois que les personnes ont atteint un certain niveau de vie, l’évolution de leur satisfaction n’est plus tellement alignée sur l’évolution de leur revenu.

Toutefois, ce paradoxe a été remis en question. L’argument qui est souvent opposé est que la stratégie d’identification empirique d’Easterlin n’était pas la bonne. En d’autres termes, il n’aurait pas utilisé les bonnes méthodes statistiques pour mettre en évidence le lien entre revenu et satisfaction.

Ces questions sont fort éloignées de mes thèmes de recherche, et je n’ai pas d’avis sur la controverse au sujet de ce paradoxe. La raison pour laquelle j’ai pourtant envie d’en parler est pour mettre en évidence la difficulté d’identifier des relations causales dans les données en économie.

Comment mesure-t-on la richesse (revenu ou patrimoine) ? Le bonheur ? Quels pays va-t-on comparer ? Peut-on d’ailleurs vraiment les agréger ? Comment sont construites les données : a-t-on des données agrégées (par exemple la satisfaction « des français ») ou a-t-on des données individuelles ? Si on a des données individuelles, a-t-on pu les apparier, c’est-à-dire mettre dans une base unifiée les données de satisfaction et les données de revenu ? Quels outils statistiques a-t-on utilisé pour établir le lien ? Est-il légitime d’avoir utilisé ces outils plutôt que d’autres ? Etc.

À chacune de ces questions, une réponse différente peut aboutir à un travail empirique différent.

Et tout ceci n’est pas neutre : être capable d’identifier des relations causales dans les données empiriques est un moyen essentiel pour rejeter et valider les différentes hypothèses. En d’autres termes, pouvoir faire ce travail est essentiel pour pouvoir se prévaloir de la méthode scientifique.

Pour autant, est-ce que je suis en train de dire que la science économique n’en n’est pas capable, et qu’elle n’est pas scientifique pour cette raison ? Absolument pas. Je défends même l’argument inverse : le simple fait que les économistes tendent à vouloir bâtir des preuves empiriques pour discriminer les hypothèses montre qu’ils adhèrent à la méthode scientifique (a minima popperienne).

Mon point est qu’il ne faut pas confondre ce que l’on veut faire (construire des preuves empiriques), ce que l’on peut faire (a-t-on les outils pour le faire ?) et ce que l’on pourra faire (faisons-nous des recherches pour construire les outils qui nous manquent ?). Il ne faut pas non plus oublier que les sciences humaines et sociales font face à des difficultés spécifiques pour mesurer les effets, et qu’après tout, la science économique « moderne » n’a été constituée qu’à la fin du 19ème siècle – avec la révolution marginaliste. En comparaison, la physique moderne a plusieurs siècles d’avance. Comparons ce qui est comparable.

Pour finir, l’appel à la prudence que constitue cette publication ne doit pas être pris pour un appel au doute déraisonnable : oui, la mesure est difficile en économie, mais non, on n’est pas dans un état où tous les points de vue se vaudraient et où rien n’est possible. Entre Easterlin et les critiques de ses travaux, l’une des deux parties a nécessairement tort (puisque leurs hypothèses sont opposées), et comme les deux arguments sont réfutables, on peut imaginer que l’on finira bien par savoir qui a raison (comme ça n’est pas mon sujet de recherche, si ça se trouve la controverse a en fait déjà été tranchée !).

MàJ 2019-03-21@11:31 : tweets qui ajoutent d’intéressants compléments par L’Observatoire du Bien-être.

Le terrorisme d’extrême-droite est-il moins médiatisé que le terrorisme islamiste ?

L’attaque terroriste à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, est un nouveau cas d’attaque terroriste perpetrée par un sympathisant d’extrême-droite.

Dans le graphique ci-dessous, The Economist compile le nombre de morts dans différentes attaques terroristes d’extrême-droite dans les pays occidentaux. Et clairement, depuis les années 2010, on constate à la fois une augmentation de ces attaques, et du nombre de morts qu’elles emportent.

20190323_woc699.png

Au-delà des raisons de cette tendance1Une partie importante de l’explication pourrait sans doute être résumée par quelque chose comme : les apprentis terroristes s’inspirent des attaques de leurs prédécesseurs, et plus il y a d’attaques, plus il y a matière à s’inspirer, donc plus la probabilité de voir l’un d’eux passer à l’acte augmente. Et c’est un cercle vicieux qui s’auto-renforce…, se pose aussi la question de la médiatisation de ces attaques. Quand un attentat est perpertré par des islamistes, vous pourriez avoir le sentiment qu’il est nettement plus couvert par les médias que lorsqu’il s’agit d’un attentat perpertré par des sympathisants d’extrême-droite.

Si c’est votre sentiment, sachez qu’il est corroboré par des preuves empiriques : dans une publication de 2018, deux chercheuses et un chercheur américains montrent (sur données américaines) qu’en neutralisant l’effet du type de cible, du nombre de tués2On va sans doute davantage parler des attaques ayant tué beaucoup de monde. et de l’arrestation ou non du terroriste3Lorsque le terroriste est arrêté, il est la plupart du temps jugé, ce qui entraîne un surplus de couverture médiatique qui n’a pas lieu d’être lorsque le terroristre est tué ou se donne la mort., les attaques perpetrées par des musulmans reçoivent, en moyenne, 357% de couverture en plus que les autres – soit 4,5 fois plus.

Si l’on prend la télévision comme exemple, pour 10 minutes de temps d’antenne consacrée à une attaque qui n’est pas perpetrée par un musulman, une attaque par un musulman recevrait 45 minutes de temps d’antenne toutes choses égales par ailleurs. L’écart me paraît énorme. Et je ne serais pas étonné qu’un écart allant dans le même sens soit trouvé sur données françaises, suisses ou belges par exemple.

L’un des problèmes que pose un tel écart est qu’il conditionne les représentations de l’opinion publique, et avec elle les politiques sécuritaires que les politicien.ne.s sont prêt.e.s à mettre en place. L’opinion publique ne se forme pas uniquement à partir de faits, mais à partir de croyances. Et ça n’est pas aux sceptiques que je vais apprendre l’importance des biais dans la cognition humaine.

On peut aussi se demander qui de l’œuf ou de la poule : est-ce la couverture médiatique déséquilibrée qui génère les croyances dans l’opinion publique, ou sont-ce les croyances pré-existantes dans l’opinion publique qui, par un effet de demande4Les gens regardent ce qui les intéressent, en gros, et les médias, répondant aux incitations de l’audience car plus d’audience, c’est plus de publicité, donc plus de revenus, font des programmes qui maximisent leur audience. Et tant pis si ces programmes ne rendent pas compte de manière cohérente de la réalité., génèrent la couverture médiatique déséquilibrée ?

Comment j’ai fait modifier un article du New York Times

Hier sont parus les résultats préliminaires d’une enquête menée par l’Americain Economic Association. Cette enquête avait pour but de quantifier les discriminations et le harcèlement au sein des départements d’économie aux États-Unis.

Les résultats de cette enquête ne sont pas fameux pour la profession. Mais si vous n’êtes pas un homme hétérosexuel blanc complètement centré sur son nombril, il est difficile de dire que ces résultats soient très surprenants.

Les leçons d’une triste journée pour la science économique

Cette enquête a été couverte par Ben Casselman et Jim Tankersely dans le New York Times. Or, bien que les personnes « non-hétérosexuelles » aient été interrogées dans l’enquête, dans la première version de l’article du New York Times, absolument aucune mention n’a été faite de leurs réponses – alors qu’elles dénotent des perceptions de discrimination très importantes.

J’ai alors publié ce tweet, où je critique cet « oubli » :

Quelques heures plus tard et suite à mes remarques, l’article a été modifié par Ben :

C’est donc pour cette raison que je peux dire que j’ai fait modifier un article dans le New York Times – et au passage, chapeau à Ben d’avoir accepté la critique avec autant de classe !

Maintenant, venons en à ce qui est réellement intéressant.

Comparons la réaction de Ben à la réaction de journalistes français quand des non-journalistes pointent des angles morts dans leurs articles ou reportages (vous me voyez sans doute venir…).

Un premier exemple est Stéphane Foucart, journaliste scientifique (d’après la légende) au Monde. Quand sa couverture militante et partiale lui est reprochée à l’aide d’arguments basés sur la littérature scientifique, que fait-il ? Il bloque à tour de bras ses critiques. Il ose également comparer les critiques qui lui sont faites au harcèlement mysogine, raciste, homophobe et antisémite de la Ligue du LOL. Et il n’hésite pas à recourir à des arguments complotistes pour essayer d’évacuer les critiques. Le tout, dans Le Monde, l’un des plus prestigieux quotidiens français.

La grande classe de M. Foucart

Un second exemple est une directrice éditoriale de France 2. Suite à la catastrophique émission d’Envoyé Spécial sur le glyphosate, celle-ci a déclaré (publiquement) que les critiques qui ont été adressées à l’émission ont été le fait, pour résumer, de trolls payés par Monsanto.

Une étude rigoureuse de cet argument montre qu’il est complètement faux.

Le numéro d’Envoyé Spécial sur le glyphosate a-t-il été critiqué par des trolls ?

Un troisième exemple est à chercher du côté d’Élise Lucet elle-même. Cette dernière n’a pas hésité à recourir à des arguments assez douteux pour « défendre » son émission sur le glyphosate. Jugez vous-même :

Un quatrième exemple est Tristan Waleckx, l’un des journalistes d’Envoyé Spécial. Depuis ce matin, sa nouvelle passion semble être de marcher dans les pas de M. Foucart – en bloquant toute personne ayant critiqué Envoyé Spécial (moi inclus) :

Et je ne doute pas que l’on pourrait accumuler de nombreux autres exemples1J’ai en tête la diffamation, pour ne pas dire l’acharnement, de Waleckx à l’égard de Géraldine Woessner et Emmanuelle Ducros, deux critiques de l’émission, là où Mac Lesgy, un homme, lui aussi critique, a été laissé étonnement tranquille. Comme le dit Lucet, « Intéressant. Non ? »., de journalistes français qui refusent de rendre des comptes et d’intégrer la moindre critique, si possible en ayant recours aux arguments les plus fallacieux qui soient.

(Je me souviens d’un échange, il y a quelques années, avec un journaliste des Décodeurs du Monde sur Twitter. On était deux à essayer de lui montrer que l’un de ses articles, qui concernait Mélenchon, reposait sur un sophisme. Il a fallu y passer littéralement une après-midi entière, car notre démarche était interprétée comme un genre de populisme anti-journalistes de bas étage. Comme s’il n’existait rien entre la critique systématique (et par conséquent idiote) des médias, et la pavoison totale devant ce qu’ils produisent…)

Comme l’échantillon est dans les deux cas de taille réduite, je me garderai bien de tirer la moindre conclusion générale sur le journalisme US et le journalisme français2Dans les faits, et pour lire régulièrement la presse US en ligne, cette dernière n’hésite pas à corriger les articles en cas d’erreurs, d’imprécisions, etc. À part une fois Le Monde sur un article à propos d’Idriss Aberkane, je n’ai pas souvenir d’un grand journal français mettre l’un de ses articles à jour. L’échantillon véritable est donc en réalité plus grand que le seul exemple de l’article sur l’enquête de l’AEA. Mais comme je n’ai pas d’exemples précis à fournir, et que j’ai la flemme de chercher, je préfère en faire une note qu’un argument dans le texte..

Je vais simplement me contenter de suggérer qu’en toute vraisemblance, un journalisme à l’écoute des critiques légitimes est possible – et souhaitable. Et qu’il me paraît probable que le journalisme français ne soit pas un journalisme de ce genre…

[MàJ 2019-03-19@19:45 : l’article suivant était ouvert dans mes onglets. Combien de responsables médiatiques françains ont déjà tenu de tels propos ?]

Les leçons d’une triste journée pour la science économique

Attention, cette publication pourrait vous heurter. Elle ne se veut pas violente, mais elle rend compte d’évènements difficiles (suicide, discrimination et agressions sexuelles).

Si vous avez des pensées suicidaires, parlez-en autour de vous. À votre médecin, à vos amis, à vos proches, à toute personne de confiance. Vous pouvez également appeler Suicide Écoute au 01 45 39 40 00, 24h/24 et 7j/7. Si vous ne vivez pas en France, des numéros similaires existent là où vous vivez. Il n’y a aucune fatalité.

Le glyphosate est-il réellement sans danger ?

Comme moi, j’imagine qu’il est fort probable que vous n’en pouviez plus non plus de ce « débat » sans fin sur le glyphosate, et du traitement absolument calamiteux dont il a été l’objet par certains journalistes.

Au-delà de la polémique et du bullshit associé, continue à se poser la question de sa dangerosité réelle : certes, le glyphosate n’a sans doute pas les effets calamiteux que certains lui prêtent. Mais est-il sans danger pour autant ?

Matadon, en pointe sur le traitement de cet herbicide, propose dans cette vidéo de 20 minutes de faire le point sur les différents seuils à partir desquels le glyphosate peut poser problème.

C’est une vidéo très éclairante, et qui a l’énorme avantage (en plus d’exister ^^) de donner des éléments quantitatifs sur la dangerosité des traces de l’herbicide que l’on peut trouver dans la vie de tous les jours.

Le fait que ce soit un doctorant vulgarisateur, et pas des journalistes, qui fait ce travail d’information en dit long sur l’état de délabrement méthodologique d’une certaine presse française.

Bon visionnage ! Et merci à Matadon pour tout son travail sur le glyphosate.

Bonjour, c'est Olivier – alias L'Économiste Sceptique 🙂

Plusieurs fois par semaine, je publie un numéro de ma newsletter sur la science économique, le scepticisme scientifique et l'économie de l'environnement.

Pour ne pas manquer les prochains numéros, rejoignez les personnes déjà abonnées en vous abonnant vous aussi.


Plusieurs fois par semaine, je publie un numéro de ma newsletter sur la science économique, le scepticisme scientifique et l'économie de l'environnement.

Pour ne pas manquer les prochains numéros, rejoignez les personnes déjà abonnées en vous abonnant vous aussi.