Le coronavirus est désormais une pandémie, et sa diffusion et ses effets sur un certain nombre de pays nous permet d’avoir un recul sur sa dangerosité.
Et cette dernière est bien réelle. Ça n’est pas « juste une grosse grippe ». C’est une maladie très dangereuse avec des effets potentiellement catastrophiques.
L’Italie notamment voit son système de santé être complètement submergé, avec des effets terribles sur la mortalité des patients atteints du virus.
Je vous invite à lire très attentivement ce témoignage d’un médecin italien, qui explique très bien pourquoi il est impératif de prendre ce virus au sérieux.
Je vous invite à respecter scrupuleusement les consignes des autorités de l’endroit où vous vivez, et ce y compris si vous ne faites pas partie des populations « à risque ».
Vous l’avez très certainement vu dans les médias : un nouveau coronavirus se développe à partir de la Chine, et a également infecté quelques personnes en France et aux États-Unis.
Toutes ces nouvelles sont anxiogènes, d’autant qu’il y a eu des décès, mais a-t-on vraiment raison de nous inquiéter ?
Je partage avec vous cette vidéo de Tania Louis. Elle est docteure en virologie et créatrice de contenus pédagogiques sur les sciences.
La vidéo fait 48 minutes et aborde de nombreux aspects de ce virus. Toutefois, si vous n’avez pas le temps de la regarder en entier, son message principal est exprimé clairement entre 2:00 et 2:45.
À titre personnel, et sans vouloir spoiler le message de Tania (regardez la vidéo, j’insiste !), je ne peux que déplorer un n-ième emballement médiatique. Cette nouvelle histoire montre bien les limites à la fois de la méthode et des incitations des médias pour transmettre l’information. Et je trouve ça très cool de voir des docteures et docteurs s’adresser directement au public sur des thèmes proches de leurs spécialités scientifiques, plutôt que d’avoir à passer par le filtre des salles de rédaction.
Il y a quelques semaines est paru un article qui montre que, au moins sur Twitter, avoir interagit avec un troll russe en 2016 n’a pas modifié l’idéologie de l’électeur ayant interagi. L’explication proposée est la suivante : les citoyens en question avaient déjà des opinions tranchées, et interagir avec les trolls n’y a rien changé.
Mais peut-on vraiment croire ce résultat ?
Pour moi, la réponse est non. Et la raison est simple : il est issu d’observations menées sur… 44 personnes seulement. C’est très peu, cela amène à une marge d’erreur énorme, et pire encore on sait que les 44 personnes de l’étude ne sont pas représentatives de l’électeur américain moyen :
The number of users in the panel who were identified as interacting with IRA accounts for the first time within the brief relevant time window was small — just 44 individuals, versus 1,106 who didn’t. Those 44 included some who may have engaged with just a single tweet. It shouldn’t come as much of a surprise that one brief exposure to a Russian bot doesn’t substantially alter one’s political views. It’s also worth noting that the sample wasn’t statistically representative of the U.S. electorate: The users surveyed were self-identified Republicans and Democrats who use Twitter at least three times a week and were willing to share their handle as part of the study. The panel intentionally recruited both “strong” and “weak” partisans from each side so their views could be compared, but left out independents. And of course, Twitter isn’t the same as Facebook or Instagram: It’s possible that Russian accounts had more impact on other platforms, for various reasons.
Est-ce que ce résultat est faux pour autant ? D’après-moi la réponse est qu’on en sait rien : un échantillon de 44 individus est trop petit pour conclure quoi que ce soit.
Entendons-nous bien : il est tout à fait envisageable que l’hypothèse avancée dans ce papier soit vraie, et que les trolls de propagande, au moins sur Twitter, ne fonctionnent pas très bien. Mais ça n’est pas avec une base de données de 44 individus aux caractéristiques très particulières que l’on pourra conclure quoi que ce soit à ce sujet.
Pour finir, est-ce que cette étude est une mauvaise étude ?
D’après moi, non plus. Les auteurs font ce qu’ils peuvent avec les données à leur disposition, et je ne suis pas sûr qu’il existe une grosse littérature sur l’influence des trolls de propagande sur les réseaux sociaux. Cette étude me semble utile et intéressante. Mais ça n’est qu’une étude. Et j’aurais aimé, lors de sa sortie, que les médias soient un peu plus prudents dans leur couverture de ses résultats, plutôt qu’à reprendre un peu bêtement le communiqué de presse de l’université d’une partie des chercheurs…
L’économie fait l’objet de nombreux discours médiatiques de personnes qui se disent « critiques ». Et le fait est qu’elles disposent d’une audience considérable.
En soi, cela m’importe peu car les gens sont libres de dire et de penser ce qu’ils veulent.
Il y a par contre me semble-t-il un problème récurrent de méthode, au moins dans le public :
La personne n’a pas de connaissances particulières en économie
Elle entend quelqu’un présenté comme une autorité critiquer tel ou tel élément de la science économique, souvent avec un sous-texte politique pas très subtil
La personne est d’accord avec la critique, la fait sienne et la propage
C’est une erreur que l’on a toutes et tous fait, et en soi elle n’est pas grave tant qu’on la corrige.
L’erreur que l’on fait ici est, de mon point de vue, celle d’un (gros) manque de prudence épistémique : sommes-nous bien sûr que la critique est fondée ?
Nous sommes dans une situation d’asymétrie d’information : nous ne savons pas juger par nous-mêmes de la pertinence de la critique. Alors pourquoi immédiatement la croire ?
Une attitude à mon sens plus prudente consiste d’abord à rechercher l’objet critiqué, pour ensuite essayer de se faire sa propre opinion sur la critique.
Le risque est alors de se faire avoir, de donner des opinions sur des sujets que l’on ne maîtrise pas et de propager des idées douteuses. Les dérives comme le climato-scepticisme sont d’ailleurs des manifestations extrêmes de ce manque de prudence épistémique :
Si vous entendez quelqu’un critiquer X, renseignez-vous d’abord sur X avant de faire vôtre la critique
Si vous voulez vous renseigner sur X, ne commencez pas par les « critiques ». Commencez par écouter les praticiens de X, et dans un second temps intéressez-vous aux critiques
Pour conclure, il va de soi que toutes mes remarques sont indépendantes de la pertinence des critiques. Il s’agit seulement d’être prudent/e sur ce que l’on se met dans le crâne.
Et j’ai pris l’exemple de l’économie, mais en réalité, nous devrions faire preuve de cette prudence avec toutes les disciplines.
Vous avez sans doute une bonne opinion d’Elon Musk. Pour ma part, je ne suis vraiment pas fan du personnage. Certes, ce que fait SpaceX dans le domaine spatial est intéressant, mais il ne faut pas oublier que sans les (très généreux) financements de la NASA, SpaceX n’en serait sans doute pas là…
En plus de l’espace et de l’automobile avec Tesla, Musk est aussi intéressé par la congestion urbaine. C’est tout l’enjeu de son projet The Boring Company, dont l’objectif est de creuser des tunnels automobiles pas chers sous les villes pour réduire la congestion.
Ce projet est très critiqué par les urbanistes, pour de nombreuses raisons. La principale étant peut-être que c’est un projet condamné à échouer parce que la voiture est un mode de transport qui prend énormément de place, alors que les villes en manquent cruellement. Et creuser des tunnels en zone urbaine coûte très cher du fait de l’empilement des différentes infrastructures (canalisations, égoûts, gaz et électricité, réseaux de chauffage urbain, etc.), ce contre quoi Musk ne peut absolument rien faire.
Pour réduire la congestion automobile, les solutions sont connues : il faut réduire le besoin de déplacements, en créant des quartiers où les gens peuvent habiter, travailler et consommer à pied, et proposer des modes alternatifs comme le vélo et les transports en commun. Ce que fait Musk avec ce projet s’appelle elite projection, et je vous conseille la lecture de cet article de blog (en anglais) par un spécialiste réputé des transports en commun pour bien comprendre l’impasse intellectuelle qu’est The Boring Company.
Bref, tout ça pour dire qu’hier, Musk a fait ce sondage sur Twitter :
Si vous ne comprenez pas l’anglais, dans le premier tweet il demande « Construire sous les villes des tunnels super sûrs, résistants aux tremblements de terre pour réduire les embouteillages ». Les trois réponses possibles sont « Certainement », « Peut-être » et « Non, j’aime les embouteillages ».
Dans le second, il interprète le fait que 69% des gens aient répondu « Certainement » en disant que « Comme attendu, 69% veulent des tunnels pour les voitures ! Arrêtez de geindre, les stanilistes du métro, le peuple a parlé… ».
La référence aux « stalinistes du métro » fait référence à de nombreux tweets (dont l’un des miens) qui répondait à son sondage en disant « ok boomer, t’es en train d’inventer le métro là ».
Celui-ci en particulier, a attiré un nombre considérable de likes et de retweets :
Mais que vaut vraiment le sondage initial de Musk ?
J’ai bien conscience que son interprétation (le deuxième tweet) est sans doute du troll, mais au 29 décembre 2019 à 12h52, plus de 54.000 personnes l’ont liké. Cela n’en demeure pas moins que son interprétation est complètement pétée. Pourquoi ?
Pour commencer, la question pose problème en ce sens qu’elle est orientée. Évidemment que les gens vont être favorables à une solution contre les embouteillages ! Même moi, qui connaît pourtant les grosses faiblesses de la solution de Musk, je suis prêt à voter « oui » à ce sondage.
Car là est le deuxième problème : il n’est d’autre choix que de voter « oui » à ce sondage ! Ce que font d’ailleurs 87% des répondants. D’abord parce que deux des trois réponses sont « oui » ou « oui pourquoi pas », ce qui ne laisse qu’une seule option pour dire « non » – alors que dans un bon sondage, il faut que les réponses soient symétriques : deux réponses « oui » pour deux réponses « non », etc. Ensuite parce que la seule option « non » est tournée en ridicule. Ça serait comme proposer un sondage du type « êtes-vous favorable à une taxe carbone ? » et de proposer comme seule réponse négative « non car je suis un gros con qui s’en fout du réchauffement climatique ». Peu de gens vont choisir cette réponse, même s’ils sont opposés à ladite taxe…
Ces deux raisons conjuguées font souffir le sondage de Musk de ce qu’on appelle un mauvais framing, c’est-à-dire qu’il va pousser les gens à répondre d’une certaine manière. C’est pour cela qu’il est orienté. Pour rappel, un bon sondage est un sondage qui mesure ce que pensent vraiment les personnes interrogées, pas qui donne la réponse qui arrange celui ou celle qui le réalise…
Le troisième problème, qui vient enterrer le peu de pertinence qu’il restait à ce sondage, c’est un bon gros biais de sélection des familles. Qui vont être les personnes les plus susceptibles de répondre à ce sondage ? Les followers de Musk. Et il ne fait aucun doute qu’une part subsantielle desdits followers le sont soit parce qu’ils boivent les paroles de Musk parce qu’ils pensent que c’est un génie, soit parce qu’ils sont d’accord avec lui ou partagent un point de vue similaire. De fait, les gens qui vont répondre à ce sondage sont des gens qui ont toutes les raisons d’aller dans le sens du sondage orienté !
Donc pour résumer, le sondage de Musk c’est :
une question orientée
des réponses orientées
un gros biais de sélection
Voici donc la seule chose raisonnable à faire avec ce sondage :
Sur ce, je vous souhaite un bon réveillon de Nouvel An quoi que vous ayez prévu de faire, et je vous dis à bientôt !
PS : la rédaction de ma thèse avance bien mais a pris du retard, ce qui pourrait décaler un peu le retour des vidéos et du contenu régulier sur L’Économiste Sceptique. Je vous tiendrai bien évidemment au courant.